Dix belles pages
Le 4 octobre dernier, le Prieuré d’Ardevon réunissait bénévoles et donateurs pour un événement pas tout à fait comme les autres. C’étaient les dix ans de la restauration du lieu, belle occasion de feuilleter le cahier des souvenirs.
Les toutes premières pages sont connues : don aux moines du Mont, résidence de l’abbé, poldérisation, lieu de stockage des dîmes, les Anglais qui viennent dire un petit « hello », etc., etc., etc. Tournons, tournons. Un château renaissance, un prolongement du Mont, un chef-lieu de l’exploitation… Ah ! nous voilà page 1789, une immense déchirure. Les feuillets suivants ne sont guère en meilleur état. Allons un peu plus loin… La graphie se détériore, le papier est de plus en plus empoussiéré et piqué : locaux de stockage, remise, buanderie de la mère Poulard… Poursuivons. Ouf ! pages 2010, 2011, 2012 et 2013, la Région Basse-Normandie sauve du désastre les toitures et le syndicat mixte s’installe dans le Logis des Miquelots. Parallèlement, grâce aux diocèses de Coutances et Avranches, de Rennes, Dol et Saint-Malo ainsi que grâce à Bayard Presse et quelques mécènes privés est créée la Fondation du Mont-Saint-Michel.

2014, 2015 : un nouveau chapitre commence. En belles lettres manuscrites, on peut lire « Rachat du prieuré pour le rayonnement culturel, spirituel et patrimonial du Mont et sa Baie ». Juste en dessous, une succession d’enluminures de plus en plus colorées : création de l’Association « Le prieuré d’Ardevon », décision de construire un dortoir de 50 lits, installation de douches et sanitaires, accueil des premiers pèlerins.
La page 2016 est tout aussi riche. L’écriture s’affermit, les lignes redeviennent plus nettes : reconstruction de la boulangerie, fouilles archéologiques préventives, découvertes de traces de l’âge du fer, de vestiges des XIe et XIIe siècles, des poteries, des poteaux d’habitation, un bâtiment prémontré du XVIIe siècle…
Oh ! sur la page suivante, un immense dessin. Finis les petits plaisirs primaires : patauger dans la boue, garer sa voiture n’importe où, s’égratigner aux ronces. Au pastel, est crayonnée une magnifique cour, avec çà et là, des petits buis, du sable au sol, des carrés de pelouse, de quoi rendre pâles de jalousie Le Nôtre et Mansard.
Pages 2018 et 2019, on ne sait plus où mettre les yeux. Se superposent abri des pèlerins, colombier et tisanerie. Un vrai miracle : ce qui était porcherie devient oratoire, ce qui était pierre croulante devient pierre vivante. Et pourtant, il y a encore plus beau…
La page 2020 ! L’ancienne étable, grâce à l’Institut de France, devient bibliothèque. La charpente toute pourrie est reprise par un artisan d’un peu plus de soixante ans qui ne travaille qu’avec un seul ouvrier, un petit jeune de… plus de 80 ans, son père. A eux deux, ils bâtissent en six mois un chef-d’œuvre digne des compagnons médiévaux. Et juste en dessous ? Si l’on en croit Chagall, « la cloison transparente entre mon cœur et le cœur du monde », c’est-à-dire de superbes vitraux, fruits autant d’un ardent créateur que d’ardentes négociations.

Allez, encore quatre pages. D’abord, non pas une chambre des secrets mais un local technique invisible avec, s’il vous plaît, toit plat et végétalisation incorporée. Ensuite et surtout, le logis de l’abbé. Là encore, un joli casse-tête : le réaliser avec la moitié de la somme nécessaire. Un petit malin propose de faire la moitié des travaux : on ne met des prises que d’un côté, on coupe l’eau dans la deuxième partie, on fait un sol mi-parquet mi-béton. Non, non et non ! Branle-bas de combat, recherche de subventions, appel aux donateurs et… Alléluia : un beau bâtiment pouvant accueillir cinquante pèlerins dans des dortoirs ou des chambres, une cuisine bien équipée, deux salles à manger.
Mais alors les pages 2026, 2027, 2028… Des pages blanches ? Pas tout à fait. A nouveau, un chapitre commence. Penchez-vous un peu… Ne devinez-vous pas un titre ? Allez, encore un petit effort… « Entre ». Oui, c’est cela. Continuez, continuez. « Ciel ». Et…, et.. « Terre », exactement ! bravo !

« Entre ciel et terre », certes, cela sonne bien, mais cela veut dire quoi ? Cela veut dire que l’aventure continue et que les idées pour le futur ne manquent pas. Par exemple, vous habitez à Paris, vous voulez venir à Ardevon : métro, gare Montparnasse, cinq kilomètres de trottoirs roulant, le train, Pontorson… et après ? Vous faites comment ? Ou alors vous êtes au Prieuré, vous avez du mal à marcher, vous voulez aller au Mont. Vous faites comment ? Ou encore, vous avez décidé de traverser la Baie, vous garez votre voiture au bec d’Andaine, un peu de vase, un peu d’eau, un peu de vase, vous arrivez au Mont… et après ? Comment récupérer votre voiture ? Un petit saut en parachute, vous suggéreront certains… Certes mais… Et si le Prieuré, les Fraternités et le Sanctuaire s’associaient pour mettre en place un système de navettes fonctionnant à l’électricité… Idée 2 : quand on a une vieille chaudière de plus de 20 ans qui fonctionne au gaz et qui commence à ahaner comme une locomotive de 1850, que fait-on ? On reprend la même pour polluer gaiement un peu plus la planète ou alors on dessine sur le cahier du futur une installation géothermique ? Et les 400 mètres linéaires de vieux murs en granit qui chaque année s’érodent un peu plus, on en fait quoi ? Du gravier concassé ou un écrin entourant le Prieuré ? Et les sept hectares de terrain jusqu’alors occupés par un agriculteur qui vient de prendre sa retraite ? On les vend ? On en fait un terrain de golf pour les mécènes ou on recrée ce que l’on voit sur le cadastre napoléonien de 1818 : quatre jardins dont un verger, de belles bordures de hêtres ou de châtaigniers, un chemin permettant d’aller d’Ardevon au Mont ? Allez à nos crayons, l’avenir est là. Dessinons-le et en couleurs, s’il vous plaît.