Le Mont en mots

Ce mois-ci, Jean-Luc Legros nous propose son nouvel ouvrage dont voici en exclusivité la préface.

« Le Mont-Saint-Michel et Victor Hugo : une rencontre qui peut apparaître comme celle de deux monuments exceptionnels, l’un d’architecture, l’autre des lettres et de la politique. Cette rencontre se fit en 1836, l’un et l’autre ne sont pas ceux que nous connaissons aujourd’hui. Il nous faut faire effort pour effacer toutes les images que nous pouvons avoir du poète et du monument, classé Monument historique en 1874, puis en 1979 inscrit au patrimoine mondial par l’Unesco.

            Le monarchiste ultra, partisan de l’alliance du trône et de l’autel, attaché à l’ordre, un bourgeois aisé, bien installé sous la Monarchie de Juillet, l’homme pas encore couvert de femmes, au visage glabre, tout ceci ne correspond pas à ce que nous avons retenu du personnage et du génie de Hugo, suivi par un million de personnes lors de son transfert au Panthéon le 1er juin 1885. 

Le Mont-Saint-Michel, en 1836, accueille quelques visiteurs seulement. L’accès en est rendu difficile par les divagations du Couesnon, de la Sélune et la migration des sables. La flèche surmontée de l’archange n’est pas encore construite et l’église abbatiale se remet à peine du terrible incendie survenu deux ans auparavant.

            Pas de magasins de souvenirs, quelques auberges seulement ; la mère Poulard ne s’installera au Mont qu’en 1873 ! Le rocher de l’archange est fort éloigné du palmarès des beautés touristiques de la France, il est devenu en 1811 une maison d’arrêt, puis une maison de force qui accueillera au cours du XIXe siècle 14 000 détenus.

La population qui vit en grande partie de la prison et de la pêche est d’environ 400 habitants en 1831, auxquels il faut ajouter les détenus dont le nombre varie. A la moitié du siècle, le Mont compte un total de 1182 habitants. Aujourd’hui, la population n’excède pas une cinquantaine. 

            La rencontre de ces deux monuments peut surprendre et interroger tout lecteur. En effet, parmi les douze mille pages de l’œuvre de Hugo, la place du Mont est bien maigre, elle demeurera cependant longtemps dans son esprit et dans ses préoccupations. Près de cinquante ans après son voyage, Hugo intervint dans le débat virulent opposant habitants, ingénieurs et architectes pour demander la destruction de la digue-route reliant le rocher au continent. »